Référendum
Midi Libre cajole les partisans du
oui
Oui-ouiste ? Le quotidien régional s'en défend et prétend
ne pas prendre officiellement parti dans la campagne référendaire. Pourtant, un
inventaire méticuleux des articles, chroniques et brèves suggère le contraire…
« Midi Libre ne « roule » ni pour le oui,
ni pour le non, mais bien pour le seul parti qui l’intéresse, celui de
l’information de ses lecteurs. » C’est par ces mots que le médiateur du
quotidien, Olivier Clerc, annonce, le 16 avril 2005, que « Midi Libre
n’a pas de parti pris ». Avant d’enchaîner que « cet engagement-là ne
variera pas ». Et Olivier Clerc, joint par téléphone, réaffirme qu’il n’y a
« pas de directive de la part de la direction » mais que « l’équilibre
est délicat à maintenir ». Ni oui, ni non, donc. Toutefois, un comptage
pointu et une analyse approfondie sur l’ensemble des numéros de l’édition
montpelliéraine du mois d’avril 2005 laissent penser le contraire.
En quantité, le oui au Traité constitutionnel européen (TCE) se voit affublé
d’un traitement considérablement plus important que le non. En effet, durant le
mois d’avril, 23 articles ont abordé le TCE sous l’angle exclusif du oui contre
10 sous l’angle du non (1). Les articles sur le oui annoncent par exemple les
passages télévisuels des tenants du oui (MM. Jacques Chirac et Lionel Jospin) et
les commentent ; ils présentent l’entrée en campagne de quelques « dinosaures »
de la politique (MM. Jacques Delors, Pierre Mauroy, Michel Rocard…) en reprenant
leurs bonnes phrases.
Le non sous l’angle du oui
Dans les 23 articles consacrés au oui, on dénombre 61 citations à créditer aux partisans du oui et 8 à créditer à ceux du non. Sur les 10 articles abordant le point de vue du non, on relève 19 citations des tenants du non et 9 des tenants du oui. Mais la structure de ces articles est bien différente. Certains sont minimalistes, comme celui de 62 mots consacré à l’entrée en campagne de M. Jean Saint-Josse (8 avril). D’autres ne décrivent le non que sous l’angle du oui. Ainsi l’article intitulé « Référendum : le non demeure grand favori des sondages » (13 avril), souligne que « le reste de l’Europe voit le 29 mai s’approcher avec inquiétude » et donne la parole à deux défenseurs européens du oui : l’Allemand Martin Schultz et le Portugais Jorge Sampaio.
Plus surprenant, un article du 17 avril rappelle que
« tous [les ministres des Affaires étrangères de l’Union] ont
conscience que le torpillage de la Constitution (…) constituerait un
séisme aux conséquences incalculables » et donne la parole exclusivement aux
alliés européens du oui. Notons que les rubriques « télégrammes » ou
« hier » et « demain », consacrent plus de brèves annonçant les
débats du camp du non (5 contre 3). Ceci s’expliquant par le fait que les
défenseurs du oui, à l’image du président de la République et contrairement aux
défenseurs du non, ne sont rentrés en campagne que durant le mois d’avril.
Si Midi Libre distingue dans ces articles les deux campagnes favorables
au TCE menées parallèlement par la gauche et par la droite (2), il en est tout
autrement pour celles du non. Le peu d’articles consacrés au non incite le
quotidien à amalgamer les différents courants hostiles à cette Constitution
européenne. Aussi, il n’est pas étonnant de trouver une citation d’Henri
Emmanuelli à côté d’une phrase de Jean Saint-Josse et d’une phrase de Christine
Boutin (21 avril) !
77 % des photos pour le oui
D’autres articles abordent le TCE sous l’angle
exclusif de la campagne politique et de l’opposition entre les deux camps. Mais
dans ces articles encore, les sympathisants du oui sont cités deux fois plus que
ceux du non (23 contre 12) et l’information consacrée au deux options est
inégale. Pour exemple, un article (17 avril) relève la mobilisation des « ténors
du oui et du non » avec 50 lignes pour ceux du oui et 19 pour ceux du non. Mais
rappelons-le : « Midi Libre ne roule ni pour le oui, ni pour le non ».
Le médiateur observateur n’aura peut-être pas relevé non plus que 77 % des
photos qui accompagnent les papiers sur le sujet sont accaparées par le oui. Et
un comptage minutieux des citations mises en exergue dans les rubriques « La
phrase », « Ils ont dit » ou « Hexagone », lui permettrait de
voir que 60 % sont attribuées aux adeptes du oui. A ce sujet, les deux premiers
représentants du non cités sont MM. Jean-Marie Le Pen et Philippe De Villiers (4
phrases chacun) devant M. Laurent Fabius (3 phrases).
Enfin, s’il rétorque que sur le mois d’avril, Midi Libre a interrogé
autant de défenseurs du oui que de défenseurs du non, nous lui rappellerons que
l’espace consacré n’est pas le même. Si M. Dominique Rousseau (pour le non) et
Mme Florence Deloche (pour le oui) ont eu droit à un débat équitable (2 avril),
les lapidaires interviews de MM. Bernard Cassen d’ATTAC (1er avril) et Jean
Saint-Josse (10 avril) n’ont rien a voir en taille et en nombre de mots avec
celles, volumineuses, de MM. Nicolas Sarkozy (13 avril) et François Hollande (28
avril) de passage dans la région.
S’il n’est pas apparu évident au médiateur que « Midi Libre roule pour
le oui », conseillons lui la lecture de la rubrique « La question »
qui porte sur la Constitution. Dans celle du 14 avril, il est écrit que « les
partisans du non ne cessent de clamer que dire oui à la Constitution c’est
favoriser l’entrée de la Turquie dans l’UE. » Il aurait été moins malheureux
de remplacer le déterminant « les » par « quelques » par exemple.
Cet effet d’amalgame entre les adversaires du TCE s’accompagne aussi d’une
désinformation par omission ou par manque de place. La question du 6 avril
évoque, par exemple, le droit d’initiative populaire qui « permet, selon
Midi Libre, à un groupe (un million) de citoyens originaires de n’importe
quel Etat membre de demander à la Commission de prendre des mesures dans un
domaine où ils estiment que son intervention est nécessaire ». Il est fait
référence ici à l’article I-47 du TCE qui s’avère être beaucoup plus
contraignant que ce qui est suggéré ici. Dans l’article en question il n’est pas
dit : « Citoyens originaires de n’importe quel Etat membre », mais
citoyens « ressortissants d’un nombre significatif d’Etats membres »,
sans préciser le nombre. A cette notion abstraite, Midi Libre oublie
d’ajouter : « La loi européenne arrête les dispositions relatives aux
procédures et conditions requises pour la présentation d’une telle initiative
citoyenne. » Si Midi Libre revendique ne pas faire campagne pour le
oui, il a tout l’air de s’en faire l’avocat à l’image de l’un de ses
propriétaires : Le Monde (voir ci-dessous).
Mépris à l’égard des opposants
Mais
ces quelques signaux de désinformation ne sont rien en comparaison avec le parti
pris des chroniqueurs tous favorables au oui. Parti pris qui est « de l’ordre
de la mauvaise gestion, nous explique Olivier Clerc, puisqu’ils ont été
choisis équitablement il y a longtemps entre droite et gauche ». D’après le
directeur de la rédaction Roger Antech, contacté par téléphone : « Les
chroniqueurs n’ont pas lancé d’appel à voter oui ou non. » Soit. Pour sa
part, Christine Clerc assimile les défenseurs du non à des « enfants » (3
avril) qui ont besoin de la protection de la « maman Europe ». Claude
Imbert, par ailleurs éditorialiste au Point, insiste sur le fait que
« le rejet de la Constitution (…) accentuerait simplement le déclin déjà bien
avancé de la France. Il favoriserait une Europe désintégrée » (4 avril).
Revenant sur l’émission à laquelle a participé Jacques Chirac face à 83 jeunes
âgés de 18 à 30 ans, Stéphane Denis, également chroniqueur au Figaro,
s’emporte : « Après avoir assisté, pendant deux heures, à l’exhibition d’une
population hébétée, celle des fameux jeunes qu’on avait réunis sur le plateau,
c’est bien le président qui avait notre estime. » (17 avril) On s’en serait
douté puisqu’ « à dix-huit ans, on a peu de choses à dire, bien qu’on pense
le contraire », affirme-t-il.
Même jour, même page, deux autres « lignes ouvertes » favorables au oui.
Celle de Jacques Julliard, dans laquelle il rappelle qu’il a « écrit un long
plaidoyer pour le oui dans l’avant-dernier numéro du Nouvel Observateur ».
Et celle de Jean Matouk, bien plus méprisante à l’égard des opposants au Traité,
où Olivier Besancenot se voit gratifié d’être un « petit champion de la
démagogie souriante ». D’ailleurs, Roger Antech lui-même, dans un éditorial
du 30 avril, présente les appels du oui comme des « appels à la raison »
et amalgame les positions du camp du non, pour qui la Constitution
« porterait atteinte à tout, au droit à l’avortement, à la laïcité, à l’A380 ».
Pas de parti pris ?
Mathias Reymond
(1) Cette disproportion apparaît bien plus évidente dans le «deuxième cahier » du quotidien régional.
(2) A l’exception de l’article consacré au débat entre MM. Hollande et Sarkozy pour RTL – Le Monde (5 avril).
Pour Le Monde c'est oui
Si le médiateur de Midi Libre qui
appartient au groupe Le Monde, prétend soutenir le parti de
l'information, le médiateur du quotidien du soir, Robert Solé, avoue (Le
Monde, 25 avril 2005) : « C'est un fait : Le Monde est favorable à
la Constitution européenne, et ne cherche pas à le cacher. Des lecteurs
constatent que pratiquement toutes les chroniques et analyses publiées depuis le
début de la campagne ont été favorables au oui. » Et plus loin : « Le
Monde s'est déjà prononcé pour le oui lorsque les socialistes ont organisé
leur référendum interne. Mais il le fera plus solennellement, et sans attendre
la veille du vote, en réaffirmant son attachement à une construction politique
de l'Europe. » Le Monde assume. Midi Libre non.
(textes publiés dans le numéro 1 de l'Accroche paru le 20 mai 2005)
Publié le 4 décembre 2005