Petit-Bard

Frêche deux fois en travers de la route

Alors que les conditions de vie des habitants sont difficiles, l'ancien maire et actuel président de l'agglo a bloqué ou ralenti la rénovation du quartier.

 

Les habitants trouvent le temps long. On les comprend. Car le Petit-Bard, l’une des plus grandes copropriétés privées de France (environ 800 logements) est aussi très dégradée. Les charges des appartements sont élevées et l’enquête sur de présumées malversations de certains syndics de la copropriété semble à l’arrêt (voir ci-dessous). Pourtant, le projet de rénovation est sur le point d’être bouclé. La convention qui doit être signée entre les services de l’État et la ville de Montpellier, est en cours de rédaction. Philippe Galli, le secrétaire général de la préfecture se dit en phase avec l’objectif d’Hélène Mandroux, maire de Montpellier, qui serait de faire valider la convention lors du conseil municipal prévu le 25 juillet. D’autant que les dossiers de la Mosson et du secteur Gély Figuerolles qu’Hélène Mandroux juge indissociables de celui du Petit-Bard, devraient, selon le fonctionnaire de l’Etat, être examinés par l’ANRU (agence nationale de rénovation urbaine) « début juillet ». La fin d’une longue route semée d’embûches ?
« Pas d’engagement pluriannuel de l’État »
Premier obstacle : en décembre 2001, était déjà programmée une commission d’installation du plan de sauvegarde du Petit Bard. Cette instance n’a jamais été mise en place. « Le maire de Montpellier (Georges Frêche à l’époque) l’avait refusé car il n’y avait pas d’engagement pluriannuel de l’État », explique Philippe Galli. Puis l’ANRU a été créée suite à une loi du 1er août 2003 et c’est en juin 2004 que le projet de réhabilitation est relancé. Quinze jours avant l’incendie qui a coûté la vie à un habitant du quartier. « C’est malheureusement un hasard du calendrier », déclare Jacques Raymond. L’administrateur judiciaire, désigné en décembre 2001, affirme détenir des échanges de courriers prouvant ce redémarrage, avant le sinistre.
Puis le dossier suit son cours. Jusqu’à fin mars 2005 et le deuxième obstacle. « J’ai donné l’ordre à ACM [l’office HLM ndlr] de ne plus acheter d’appartements dans le Petit-Bard. » (1) La déclaration de Georges Frêche est susceptible de remettre en cause le plan de financement défini entre l’ANRU, ACM (rattaché à l’agglo) et les collectivités locales. Lors du conseil d’agglomération du 19 avril, Georges Frêche reproche à Louis Pouget, conseiller d’agglomération et président d’ACM de faire « le grand écart », c’est-à-dire de ne pas suivre ses consignes de ne plus acheter, et le somme de choisir son camp.
Proprétaires privés et argent public
Aujourd’hui Louis Pouget rassure : « Il n’y a pas de divergence entre lui et moi. Son souci en réalité, c’est que l’argent public aille bien au public. » Donc éviter que des propriétaires privés bénéficient de l’argent public qui va être versé pour la réhabilitation du quartier. Heureusement les « vapeurs frêchiennes » –l’expressions est de Philippe Galli– semblent s’être apaisées. Mais « Frêche nous a fait perdre 2 mois ».
C’est l’absence de concertation avec les habitants qui paraît maintenant constituer le dernier écueil. « On a envoyé 3 fax en préfecture, 3 fax en mairie depuis 3 mois », rappelle Abdenour Tataï du collectif Justice pour le Petit-Bard. Sans réponse. Quant au comité d’évaluation et de suivi de l’ANRU, en visite le 14 juin à Montpellier, il n’a fait que passer dans le quartier. Pourtant, « Daubresse [ministre délégué au logement et à la ville] nous avait dit que la concertation se ferait avec les habitants ». Alors ceux-ci s’expriment comme ils peuvent. Une fête était organisée les 24 et 25 juin avec les moyens du bord. « La mairie ne nous aide même pas », déplore Abdenour Tataï. Mais le sujet d’un des forums qui devait être organisé à cette occasion était pourtant clair : « Quelle réhabilitation ? Pour qui et pour quand ? »
Jacques-Olivier Teyssier

 

(1) Midi Libre, 1er avril 2005   

 

 

La Justice prend son temps

 

« C’est vrai qu’il y a des choses qui ne sont pas très claires. » Jacques Raymond a été nommé administrateur judiciaire de la copropriété du Petit-Bard en décembre 2001 et dit ne pas en savoir beaucoup plus. Si ce n’est qu’un expert comptable, Christian Trabé, lui aussi nommé par le tribunal de grande instance, a vérifié tous les comptes. « Il a trouvé des anomalies, mais il a dit : ‘’Moi, pour aller plus loin, il faudrait que je puisse réaliser des investigations de type policier, raconte Jacques Raymond, que je puisse me rendre chez les fournisseurs, que je vérifie que telle facture que je trouve dans la compta de la copropriété a son équivalent chez tel fournisseur. Pour ça, il me faudrait une commission rogatoire mais ce n’est pas mon travail.’’ Donc, il n’a pas conclu réellement à des escroqueries parce que pour cela, il faudrait qu’on ait les résultats d’une enquête judiciaire. »
Et donc le Parquet a-t-il ouvert une information judiciaire ? Non. Une plainte a cependant été déposée en novembre 2001 par une centaine de propriétaires. Et donc l’affaire a été jugée ? Non. La juge d’instruction semble se hâter lentement. Pire : de source proche du dossier, on affirme que « les mis en cause [des anciens syndics et des membres du conseil syndical] n’ont pas été encore entendus ». (1)
Autre élément qui n’a pas contribué à l’avancement du dossier : la passivité d’ACM. Pour Abdenour Tataï, du collectif Justice pour le Petit-Bard, l’office public de logements sociaux « aurait dû porter plainte ». Car ACM, propriétaire depuis plus de 5 ans de plusieurs logements, siégeait aux conseils syndicaux successifs avant la liquidation judiciaire. Dès lors, il pouvait difficilement ignorer les problèmes. Réponse de Jacques Valat, directeur génral d’ACM : « Il y avait des plaintes qui étaient déposées. Bien sûr ç’aurait fait une voix de plus mais ça n’aurait pas été fondamental. » Un plaignant de la taille d’ACM pas « fondamental » ? Pas sûr. En tout cas, cela aurait eu l’avantage de dégager la responsabilité d’ACM qui était, on l’a vu, membre du conseil syndical à l’époque des malversations présumées.


(1) Contactée, la juge d’instruction en charge du dossier, n’a pas souhaité s’exprimer.

 

 

Scission tardive

2,3 M€ . C’est le montant des dettes de la copropriété du Petit-Bard quand Jacques Raymond est nommé administrateur judiciaire. On est en décembre 2001. Dans la mission que lui confie le président du tribunal de grande instance, il y a, entre autres, la scission de la copropriété. Une des plus grosses de France. Car même si cette opération ne devait pas tout résoudre, elle aurait permis une gestion plus aisée des 800 logements. Mais à ce jour, elle n’est toujours pas effective.
Car pour Jacques Raymond, c’est une opération difficile. Ainsi, le 7 juin, l’administrateur judiciaire nous déclarait : « Organiser une scission déconnectée du projet de plan de sauvegarde [voir page suivante], c’était un peu une vue de l’esprit. » Et d’invoquer une nécessaire réflexion d’urbanisme beaucoup plus globale du fait de la réhabilitation à venir.
Rebondissement : le 18 juin, Jacques Raymond nous apprend que son mandat d’administrateur judiciaire vient d’être prolongé de 4 mois avec pour objectif la scission en 8 copropriétés et qu’il a pu « déconnecter la scission, du plan de sauvegarde ». Sans fournir plus de détails. Les locataires et les petits propriétaires occupants se réjouiront sûrement de cette évolution. Qui arrive bien tard quand on connaît leurs conditions de vie.

 

                                                                                                                           

Mauvais payeurs

Même si les dettes de la copropriété ont été ramenées par Jacques Raymond, l'administrateur judiciaire, de 2,3 M€ en 2001à 700 000 € en 2005, beaucoup de propriétaires doivent encore de l'argent et ce, en raison de charges non versées. Le montant total des créances s'élèvent encore aujourd'hui à 1,5 M€ (contre 2,4 M€ en 2001) avec un record à 100 000 € pour un gros propriétaire montpelliérain. Si tous les débiteurs réglaient ce qu’ils doivent, Jacques Raymond disposerait d’environ 800 000 € (1,5 M€ - 700 000 €) à redistribuer aux copropriétaires.« Une vue de l’esprit » selon l’administrateur judiciaire.

 

 

 Un mystérieux sinistre

C’était le 13 juin 2004. Un habitant de la cité du Petit-Bard était retrouvé mort asphyxié, suite à l’incendie d’une cage d’escalier. Une enquête de police a été menée et après plusieurs mois, elle a débouché sur un non-lieu.
Le 19 avril, alors que la tension est retombée depuis longtemps, Georges Frêche réaborde le dossier. On est en conseil d’agglo : « Je me demande pourquoi la police qui sait qui a placé un chiffon imbibé d’essence, ne dit rien. Le préfet empêche qu’on donne les résultats de l’enquête. » Et le président de l’agglomération de poursuivre : « Le feu au Petit-Bard, c’est une provocation par des gens qui cherchent à l’exploiter. Qui cherche à l’exploiter ? Suivez mon regard. » Regard qui ne renseignera pas les participants au conseil d’agglo. Contactée le lendemain, la préfecture indiquera que « le préfet n'a pas accès aux éléments de l'enquête ». Du côté de la police, Joël Guénot, directeur départemental de la sécurité publique, affirmera : « Les résultats [de l’enquête] ont été transmis au juge d'instruction. » Qui a donc prononcé une ordonnance de non lieu.
Au delà du côté polémique des propos de Georges Frêche, plusieurs sources proches du dossier, confirment la présence de traces d’essence de térébenthine, relevées après l’incendie. Si cet élément s’avérait exact, il n’éliminerait pas pour autant tout lien du sinistre avec l’état délabré de la copropriété. En effet, même si celui-ci n’était pas la cause de l’incendie, il a sans doute joué un rôle dans sa propagation.                  

 

               

(textes publiés dans le numéro 2 de l'Accroche paru le 27 juin 2005)

Publié le 1er mars 2006

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