Émissaire en mer

Beaucoup de bruit dans le tuyau
La station d'épuration de l'agglo devrait rejeter ses eaux retraitées au large de Palavas, d'ici à la fin de l'année. Au Grau-du-Roi et à La Grande-Motte, des opposants dénoncent des risques pour la santé et l'environnement. Mais leurs arguments s'avèrent fragiles.

 

« 10 000 tonnes de polluants divers et variés bientôt rejetés tous les ans dans le golfe d’Aigues-Mortes » : l’information, publiée début mars sur le site du parti écologiste Cap 21, a de quoi faire frémir. La cause de ce désastre environnemental annoncé ? Le rejet prochain, à 11 Km au large de Palavas, des eaux de la station d’épuration de l’agglomération de Montpellier. Insuffisamment traitées selon des opposants du Grau-du-Roi et de La Grande-Motte, ces eaux risquent, assurent-ils, d’asphyxier le golfe d’Aigues-Mortes et de rendre les coquillages impropres à la consommation. Sans parler des craintes concernant la baignade.

Effets pas étudiés

« Les conséquences sur l’environnement et la santé ont été mal évaluées », déplore Jacques Pelorce, hydrologue membre de l’association du Grau-du-Roi, Camargue littoral environnement. Un élément troublant semble confirmer ses dires : en 2003, le tribunal administratif de Montpellier a annulé les arrêtés préfectoraux qui donnaient le feu vert au projet d’émissaire en mer. Le juge avait estimé, suite à un recours de la commune et du Comité des pêches du Grau-du-Roi, que les effets sur la santé n’avaient pas été assez étudiés. De quoi se poser de sérieuses questions sur le bien-fondé du projet.

La station d’épuration de la Céreirède reçoit actuellement à Lattes les eaux usées de sept communes de l’agglomération. Partiellement traitées, les eaux - qui contiennent encore des nitrates, du phosphore et bon nombre de bactéries - sont rejetées dans le Lez. Elles s’écoulent ensuite à travers deux étangs avant de se répandre à 100 mètres de la plage de Palavas.

La modernisation, achevée à 80%, améliorera l’épuration – plus complète pour les bactéries. Elle permettra aussi de traiter les eaux usées de 470 000 habitants, au lieu de 260 000 aujourd’hui. Cinq nouvelles communes vont ainsi se raccorder. Mais la grosse nouveauté, c’est qu’une fois épurées, les eaux vont maintenant être rejetées en mer, au large de Palavas, via un tuyau - émissaire - long de 11 km. Fort d’une nouvelle étude d’impact et d’un avis favorable après enquête publique, le dossier est actuellement étudié par la préfecture. « Nous espérons mettre en service la station et l’émissaire fin 2005 », explique Jacques Garriga, conseiller Vert de l’agglomération chargé de l’assainissement. « L’annulation du tribunal nous a fait perdre un an et pendant ce temps-là, la pollution du Lez et des étangs continue. »

Apparence

Si le choix de disperser les effluents au large plutôt qu’en rivière semble faire l’unanimité, des voix continuent de s’élever pour dénoncer le manque de traitement des eaux rejetées. Sur la base d’arguments scientifiques. Du moins en apparence.

Dans un document envoyé à la préfecture, l’Association des présidents de conseils syndicaux de La Grande-Motte (APCS) s’inquiète notamment du risque lié à une épuration bactériologique qu’elle juge insuffisante. Bernard Aubert, ancien chercheur au Cirad, annonce que le dossier qu’il a rédigé pour l’association a été « soumis à une revue scientifique ». « Je n’ai jamais été consulté et on ne doit pas se servir de mes résultats comme d’une expertise », s’indigne Marc Trousselier, du CNRS, en découvrant l’utilisation de ses travaux. « Argument non valide » et « hors contexte », jugent pour leur part Monique Pommepuy (Ifremer) et Yvan Martin (Institut P. Ricard), les autres chercheurs cités. Tous trois expliquent que, même si leurs études montrent une augmentation modérée de la résistance de certaines bactéries après un passage en système d’épuration, leur taux d’élimination dans la station, leur dilution et leur faible temps de survie en milieu salin permettent d’écarter la crainte d’une contamination du littoral.

A l’abri des bactéries

Il connaît bien la région, n’est pas cité dans le dossier, mais son verdict est identique : pour Maurice Aubert, de l’Université de la mer de Cagnes-sur-Mer, le risque d’intoxication bactériologique est « nul, pour les parcs conchylicoles comme pour la baignade ». Il ajoute même qu’en tant qu’expert, c’est un projet qu’il accepterait « sans hésiter ».

Menaces de bactéries sur les côtes, accumulation de polluants : les craintes de Jacques Pelorce et Bernard Aubert s’appuient en fait, pour l’essentiel, sur la mise en doute des conclusions de l’étude des courants marins. « L’imagerie satellite nous fournit des données très précises sur la question », répond Jean-Michel Sionneau, expert qui a participé à la dernière étude d’impact. Il affirme que même si des courants se dirigeaient vers la côte, la zone conchylicole des Aresquiers - la plus proche de l’émissaire, ndlr - serait à l’abri des bactéries qui mourraient avant de l’atteindre. Pourtant, Jacques Pelorce accuse : « Les cartes les plus défavorables ont disparu des documents publics. » Ce que conteste l’expert : « On ne cache pas de résultats gênants, c’est absurde ! » Ajoutant : « Je travaille dans un souci d’hygiène et de salubrité et tiens à ce que le littoral soit propre : j’habite Montpellier. »

Si le risque bactériologique semble écarté, on peut légitimement s’inquiéter d’apprendre que nitrates, phosphates et métaux lourds vont néanmoins être répandus en mer. Pour les deux premiers, on apprend qu’aucune ville méditerranéenne ne les élimine de ses rejets. Car même s’ils sont responsables des « marées vertes » qui asphyxient une partie de la vie aquatique dans de nombreux étangs, les scientifiques estiment que leur apport est globalement bénéfique à la grande bleue : ils enrichissent en effet son eau naturellement pauvre en oligo-éléments, augmentant la production de plancton. « Poissons et pêcheurs ne s’y trompent pas », note Stéphane Roumeau du service assainissement de Sète, qui a constaté une effervescence particulière autour de l’émissaire en mer de la ville !

Seuils limites

Une très faible proportion des métaux lourds échappera, elle, à l’épuration et se dispersera en mer. Eric Dutrieux, écologue du bureau d’étude Créocean, a participé à l’étude d’impact. Chargé depuis sept ans du suivi de l’émissaire de Sète, il n’a pas relevé de concentration particulière de métaux lourds dans cette zone. Si la chair des thons rouges de Méditerranée, par exemple, concentre le mercure au point d’atteindre parfois des seuils limites pour la consommation, le rôle des émissaires « n’a jamais pu être mis en évidence », indique-t-il. Un constat à demi rassurant.

Au Grau-du-Roi, Hervé Sargueil, adjoint au maire - UMP - et membre du Comité des pêches, redoute lui une « mauvaise publicité » pour la consommation de poisson. Il continue de réclamer le traitement complet des bactéries, nitrates et phosphore et indique que la mairie et le comité vont contacter leur avocat pour étudier de nouveaux recours légaux. A Palavas, les pêcheurs ne s’inquiètent pas plus que ça : « Nous avons demandé une filtration supplémentaire, une totale transparence des analyses et avons été entendus », se félicite Jean-Pierre Molle de la Prud’homie. « On a choisi la voie de la concertation plutôt que celle du tribunal. Je pense que si nos collègues du Grau-du-Roi sont inquiets, c’est sûrement qu’ils manquent d’informations. »

Difficile de se réjouir

« Sur la pêche, ils se foutent de nous », lâche Christian Jeanjean à propos de l’opposition venant du Grau-du-Roi. Pour le député-maire UMP de Palavas, qui se réjouit de voir sa ville bientôt raccordée au collecteur de la Céreirède, « c’est un procès politique pour emmerder Frêche » - Etienne Mourrut député-maire UMP du Grau-du-Roi, est un proche de Jacques Blanc, l’ancien président de région, ndlr. La sincérité des craintes de MM. Pelorce et Aubert, ne peut, par contre, « pas être mise en cause », estime Eric Dutrieux, qui ajoute : « Hydrologue et agronome, ce ne sont pas des spécialistes du milieu marin. Leur approche n’est pas globale. » Même s’il est difficile de se réjouir de voir rejetées en mer des eaux contenant encore des polluants, les craintes les plus vives suscitées par ce projet ne semblent donc pas fondées. Le choix fait par l’agglomération de Montpellier est jugé très adapté par l’ensemble des spécialistes contactés. « Au regard des coûts », précisent-ils toutefois. En matière d'épuration, il est en effet toujours possible de faire mieux. A condition que la collectivité soit prête à en payer le prix.
Raphaël Geng


(texte publié dans le numéro 1 de l'Accroche paru le 20 mai 2005)

Publié le 4 décembre 2005

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